Une tradition migratoire séculaire
Depuis des siècles existe à Aiguilles une tradition solide d’émigration de qualité. L’histoire des pratiques migratoires insiste, à raison, sur les flux de migrants parti des villages queyrassiens et tout particulièrement d’Aiguilles.
Avant de nous approprier cette histoire, intéressons-nous au puissant courant d’immigration venu d’Italie Existant au 18ième siècle, il ne cesse de s’intensifier au cours du 19ième siècle. Ainsi à l’occasion du recensement de 1931, 32 domestiques italiens sont dénombrés à aiguilles. Cette présence est confirmée à l’issue du recensement de 1851
Une délibération du conseil municipal d’Aiguilles, datant de 1850, éclaire de plaisante manière ce phénomène.
« Mr le Maire expose qu’il serait très urgent de faire demande d’une brigade de gendarmerie à cheval dans cette commune, soit parce que nous avons annuellement plus de trois cents personnes, piémontaises, pendant le semestre d’été, qui sont en domesticité ou journaliers, sans papiers, la majeure partie :
-quantité qui n’est pas dans toutes les autres communes du canton, quoique leurs populations légales soient aussi fortes
– soit encore parce que la commune d’Aiguilles se trouvant sur la route de grande communication pour aller au fonds du Queyras et delà pour aller dans le Piémont par le col-la-Croix, le col la traversette, le col Saint Martin et le col de Tures
– que journellement il y a quantité de voyageurs étrangers venant de l’intérieur se retirant dans leur foyer et d’autres en partant pour s’introduire dans notre patrie que la seule brigade à pied du Chateau, dans sa position, ne peut suffire à la surveillance exigée malgré tout le zèle qu’elle apporte à son service.
– soit enfin parce que la commune d’Aiguilles où il y a quelques fois deux audiences par semaine : il s’élève des difficultés entre les parties et dans leurs discussions se disputent sans conserver le respect dû à la justice, principalement entre le maître et le domestique, difficultés parmi lesquelles le domestique ,par défaut instruction, peu de civilisation et mal famé manque impunément au Magistrat et à son adversaire et parce que la commune et privée de gendarmerie . M le juge ne peut les faire mettre de suite en arrestation et en attendant la force publique c’est-à-dire la gendarmerie du Chateau il passe la frontière emportant différents effets qu’il a volé à son maître » (5)
Quelles sont les circonstances propres à l’évolution de la communauté aiguillonne qui rendent nécessaire cette immigration ?
Des recherches effectuées par Dionigi Albera (6) montrent que les règles et les pratiques en matière de dévolution successorale se sont avérées décisives sur la viabilité des exploitations (morcellement des exploitations ou droit d’ainesse). Les conséquences sont perceptibles sur l’envie, la volonté ou la nécessité du départ. Il s’en suit une raréfaction de la main d’œuvre locale et le recours nécessaire aux travailleurs venus du Piémont.
Raoul Blanchard offre à cette immigration italienne une épaisseur conceptuelle intéressante. Entre 1863 et 1873, 54% des aiguillons arrivés à l’âge adulte ont définitivement quitté le pays. Il chiffre à 1052, le nombre d’aiguillons ayant émigré. Or, les chiffres issus des recensements n’indiquent qu’une perte de 737 personnes. Blanchard conclue qu’une
« partie de ces pertes effrayantes était compensée par l’immigration italienne ».
Et il ajoute :
« A mesure que se vidaient les maisons, et que les terres venaient en déshérence, les pauvres gens du versant italien venaient offrir leurs bras, amassaient un pécule, louaient puis achetaient des terres, s’établissaient définitivement et faisaient souche de français , qui ne tardaient pas eux-mêmes d’être emportés par le torrent de l’émigration »(6).
Venues des vallées vaudoises, du Haut Pô, de la Varaïta et du val Maïra , ces populations ont contribué à maintenir à Aiguilles un nombre d’habitants et à le stabiliser.
Au recensement de 1921, sur 324 habitants, 71 sont encore de nationalité italienne, nés en Angrogne, La Tour (Pellice),Château-Dauphin et LaChenal (Varaïta , ostana, Sampeyre, Brossasco, Pergola, Elva, Prasly, etc.) sur 97 ménages présents à l’époque du recensement , 26 sont d’origine italienne .
« Comme, ils ont en général, beaucoup d’enfants, on peut dire qu’un tiers des habitants présents se compose d’italiens ou de fils d’italiens. Tous jusqu’ici (1922) sont d’ailleurs aisément assimilés.
On peut dire que sans eux, il n’y aurait plus d’Aiguilles »
(5) cité par M.Naciri et J6G Lapacherie – ibid
(6) Raoul Blanchard « Aiguilles », Revue de géographie alpine.
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