L’histoire de France s’articule autour de repères que tout élève doit connaitre, et auxquels il est invité à se référer.
Le Queyras, comme de nombreuses régions françaises possède des marqueurs historiques forts, construits au rythme de ses pulsions populaires et démocratiques.
1343 constitue une étape essentielle dans la structuration de la propriété foncière de notre territoire (j’y reviendrai !) et le statut juridique des populations.
Voyons cela de plus près.
Jean-Pierre Paquet
Les chroniques de JP
1343 ! L’impéritie avec laquelle le Dauphin Humbert II gère ses finances le conduit à négocier, avec les cinq « mandements » des Alpes, institutions autonomes que sont le Queyras, Briançon, Mont Dauphin, Oulx et Pragelas, un accord volontaire de cession de droits. Cet accord encore appelé « transaction » n’est ni démocratique, ni républicain, il permet simplement au Dauphin de couvrir ses besoins financiers. Son montant est de 12 000 florins.
Les habitants du Queyras obtiennent contre le paiement de cette somme et la promesse d’une rente annuelle versée au Dauphin, le droit de se dénommer « francs bourgeois », d’élire directement leurs consuls et secrétaires (1) de porter les armes, de chasser (2), d’être exonérés de la gabelle et des droits de pâturage. En revanche, ils étaient contraints de fournir un mois par an, un contingent de 500 miliciens.
La question que chacun se pose, alors, est naturellement celle du paiement des termes de la « transaction ». Qui sont ces queyrassins qui peinent à trouver des conditions de vie mêlant sécurité et considération ? Réputés vivre difficilement d’un labeur à la pénibilité avérée, d’où tirent-ils leurs moyens d’existence ?
La commune d’Aiguilles occupe une superficie de 3 839 hectares 13 ares 99 centiares répartie en 6 catégories, subdivisées en classes (tableau ci-dessous). L’insertion des parcelles dans les différentes classes dépend de la qualité des sols. La classe 1 regroupe les parcelles de très bonne qualité et la classe 5 des parcelles de médiocre ou mauvaise qualité et des conditions d’accès et d’exploitation défavorables (3)
Les terres labourables de bonne qualité qui offrent des rendements intéressants et permettent la culture des plantes vivrières (classes 1 et 2) ne couvrent que 20% du territoires communal.
A contrario, les pâtures, prés, marais, friches, landes, bois et taillis couvrent 77,50% de ce même territoire
C’est dire que l’activité principale exercée par les aiguillons ne permet pas d’honorer leur part du financement de la « transaction ».
Dans ce contexte défavorable, quels sont les leviers qui ont été activés ?
Les mandements tirent leur prospérité des foires de Briançon et du commerce entre Florence ou Milan et la papauté d’Avignon. En 1259, s’ouvre à Abriés un marché. On y trouve des bestiaux (brebis, boucs, moutons, agneaux, porcs chevaux, juments, ânes), des toiles, du chanvre, des épices (aulx, oignons), du matériel agricole (faux) ou d’usage militaire (lances, boucliers, arcs).de la laine de moutons
De quoi vivent Les aiguillons ?
L’essentiel des revenus provient de l’élevage qui donne naissance à un commerce actif. Aux foires de printemps, les paysans achètent des bêtes qu’ils engraissent l’été sur les alpages. Ils les revendent aux foires de septembre, ne gardant que le nombre de bêtes qu’ils peuvent entretenir l’hiver, et qui dépend étroitement de leurs réserves en fourrage, donc de l’étendue de leur exploitation. De cette embouche estivale provient l’essentiel des revenus : vente des bêtes engraissées (ovins, bovins, mulets), vente des laitages (beurre et fromages acheminés vers la Provence). C’est pourquoi le cheptel s’accroît au XVIIIe siècle : de 1730 à 1801, le nombre des bovins et mulets augmente de 30%, celui des ovins de 50%
Lorsqu’un père de famille possédait 3 vaches, 30 moutons, un mulet, un cochon et quelques poules, il se classait parmi les habitants les plus aisés.
Nous reviendrons dans une prochaine chronique sur ce qui caractérise la propriété foncière d’Aiguilles.
(1) Le représentant du Dauphin et à partir de 1349 du roi, était le châtelain. Les habitants élisaient deux consuls pour deux ans.
(2) Ce droit détenu depuis près de sept siècles est probablement la raison de l’appétence des queyrassins d’aujourd’hui pour une activité, à maints égards, culturelle.
(3) source : matrice cadastrale de la commune d’Aiguilles, 1827)
0 commentaires