Des ruptures brutales
Quinze chroniques seront nécessaires pour décrire un phénomène unique et singulier. C’est peu de dire que les mouvements de population d’une ampleur surprenante ont façonné un pays et forgé le caractère de sa population.
La démographie queyrassine souffre, naturellement, de l’impact des flux migratoires dont la survenance ne cesse d’alerter les édiles locaux.
Mais, le dépeuplement du Queyras n’est pas la conséquence d’un phénomène unique, sorte d’astéroïde social, Des causes diverses, d’ampleur relative sont à l’œuvre et c’est à leur examen que je vous invite, désormais, à nous livrer.
Le contenu de cette chronique emprunte aux travaux de Mohammed Naciri et Jean-Gérard Lapacherie : « Le Queyras, une vallée des Hautes Alpes », édition la croisée des chemins Tome 1 « Le temps des crises 1789-1918. De l’ordre communautaire à la prééminence communale ».
Jean-Pierre Paquet
Les chroniques de JP
Au 14ième siècle, la population croît régulièrement. Les chroniqueurs parlent de surpeuplement et s’en plaignent. En 1339, un officier du Dauphin écrit : «la terre dans la paroisse d’Aiguilles est insuffisante ».
En 1775, un officier de Château Queyras renchérit et note que le « pays est pauvre et trop peuplé à proportion des terres que la nécessité leur fait cultiver, avec des travaux pénibles, jusqu’au sommet des montagnes ».
Or, Entre 1265 et 1339, le nombre de feux passe de 745 à 1041, soit, à raison de cinq personnes par foyer, une augmentation de 1480 habitants, pour une population globale de 5200 habitants. Le pic de population est atteint en 1831, avec 7 637 habitants dans les 7 communes de l’escarton et 8 558, si l’on y ajoute Ceillac.
Ces considérants démographiques vont inciter ce village « perdu » des Alpes à envoyer des émigrants dans les cinq continents. Ce phénomène se nourrit encore des catastrophes naturelles subies au 15ième et 19ième siècle
Les raisons d’un déclin démographique
Nous ne possédons pas de chiffre fiable sur la période d’ancien régime, antérieure à 1793.
Les tendances lourdes relevées, notamment à l’occasion des révisions périodiques des feux, indique, cependant, que dès le 15ième siècle, les aiguillons émigrent en quantité considérable. La dépopulation qu’elle provoque est aggravée par des pandémies qui ravagent le pays. Les témoignages qui nous sont parvenus indiquent que les épidémies ont provoqué la mort à Aiguilles de 400 personnes.
La population d’Aiguilles serait, alors, descendue dans la première moitié du 15ième siècle de 600 à 250 âmes.
A ce stade et compte tenu de la structure agro-économique du Queyras, une population en forte croissance trouve difficilement les moyens de subsistance dont elle a besoin. La tentation est alors grande de quitter le pays et d’aller chercher ailleurs des raisons d’espérer en des jours meilleurs.
Mais, à contrario une démographie en berne ne permet plus, faute de travailleurs suffisants, aux populations restant au village, d’exploiter les terres, de produire les biens nécessaires à leur survie. Faute de bras, des parcelles ne sont plus travaillées.
Pour faire bonne mesure, le 17ième siècle marque le retour des affrontements religieux. La révocation de l’édit de Nantes, par louis XIV, en 1685, fournit au clan catholique le prétexte à raviver les violences. Or nous savons que la population queyrassine est majoritairement protestante. Harcelés, violentés, craignant pour leur vie, de nombreux aiguillons quittent clandestinement le pays qui les a vu naître, abandonnent leurs biens et fuient en Piémont d’abord, en Suisse, dans les principautés allemandes, ou aux Pays Bas, ensuite pour y reconstruire leur vie, sans espoir de retour. La révision des feux de 1700 accrédite cette thèse.
Dans nos prochaines chroniques, nous préciserons ces différents item
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